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Interview de Stéphane Houdet

Bonjour Monsieur Houdet, pourriez-vous vous présenter à nos lecteurs ?

 

Je suis tout d’abord un fan de tennis, qui jouais aussi loin que je me souvienne avec des raquettes et des balles, avec mon père sur la plage. Je commence ensuite à devenir champion des Pays de la Loire. En parallèle, je fais des études de vétérinaire. Finalement, dans le monde du tennis j’ai joué en première division du championnat de France.

Comme tout vétérinaire, j’exerce un tour de France des remplacements, pendant lequel je vais avoir un accident de moto  qui me fait perdre l’usage de ma jambe gauche.

Petit à petit, je reviens dans le monde du sport, plutôt de haut niveau, tout d’abord par le golf, avant de rencontrer Johan Cruyff et de migrer vers le tennis qui est mon premier amour, et qui m’a permis de revenir à mon premier rêve : devenir joueur de tennis professionnel.

Vous étiez vétérinaire, puis en 2008 vous avez choisi de vous consacrer uniquement au tennis, en devenant professionnel. Quelles ont été vos motivations et avez-vous eu peur d’échouer en prenant ce risque ?

 

Je prenais un risque mesuré car j’étais vétérinaire installé à mon compte, libéral. Je pouvais faire un test sportif, me planter, et revenir à mon premier métier. Le risque professionnel était donc mesuré, c’est vrai que c’était un changement énorme, mais j’ai voulu tenter l’aventure.

 

Quelles sont les différences entre le tennis fauteuil et le tennis debout ?

 

La particularité du tennis fauteuil est qu’on ne peut pas faire de déplacements latéraux comme ceux qu’on a l’habitude de voir avec les joueurs de tennis debout, qui vont vers la gauche ou vers la droite. Nous sommes obligés de faire de grands cercles. Il y a un mélange de glisse, de contrôle de trajectoire. Pour avoir une image, ce serait comme si on jouait en rollers. En fait, la trajectoire la plus rapide n’est pas forcément la trajectoire la plus courte. Comme un pilote de formule 1 ou un skieur, qui font des courbes pour garder la vitesse, de la même manière, on ne prend pas le chemin le plus court, on prend le chemin le plus rapide.

La technique et la tactique varient-elles ?

 

Oui, la prise revers inversée. Elle nous permet de frapper fort des balles qui sont jouées au-dessus de l’épaule, parce que comme on est assis, ou à genoux pour mon cas, en tout cas plus bas par rapport au filet, on a plus de force pour jouer les balles au-dessus de l’épaule. Avec une prise revers classique, frapper une balle au-dessus de l’épaule est très difficile, même s’il reste quelques joueurs sur le circuit qui utilisent cette prise, notamment Gustavo Fernandez l’argentin, qui est une montagne musculaire. Cette prise nous permet également de jouer quasiment tous les coups avec la même prise : le coup droit, le revers, de temps en temps le chip de revers. On a en fait très peu de temps pour s’ajuster car nos mains sont utilisées pour mobiliser le fauteuil.

En termes de tactique, on essaie de prendre la balle tôt, on joue de plus en plus vers le filet, en sachant qu’une montée à la volée est faite pour finir le point : on ne va pas pouvoir enchaîner trois volées car la position filet peut être vulnérable au lob du fait de la petite taille.

 

Depuis 2015, vous jouez avec un fauteuil révolutionnaire, qui vous permet de jouer à genoux. Comment cela a changé votre jeu et vous procure-t-il un avantage par rapport aux autres ?

 

En fait, je recherchais les sensations que j’avais en tant que joueur debout. Par rapport à mon jeu, c’est ce que je voulais et j’aimerais être encore plus haut, encore plus proche d’une position de joueur debout. Pour moi c’est un avantage car j’ai appris comme ça, et je pense que ça me permet à la fois d’avoir une bonne torsion entre le haut et le bas du corps pour générer de la puissance pour les coups, mais aussi avoir les bras au bon endroit pour pousser, donc plus de puissance pour me déplacer. Maintenant, pour un joueur comme Shingo Kunieda, numéro 1 mondial, mon principal rival, ce ne serait pas un avantage de jouer dans cette position, car il a appris à jouer en fauteuil et son bassin est naturellement orienté à 90 degrés. Cela dépend donc des morphologies. Pour un joueur comme Nicolas Peifer, mon partenaire de double, mon fauteuil serait intéressant.

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Y-a-t-il des règles concernant le matériel ou les joueurs ont la liberté d’adapter leur fauteuil selon leurs besoins ?

 

On a pour obligation de ne pas changer la hauteur de l’assise. Par exemple, je travaillais au début avec une équipe de chercheurs qui me disait « tu sers quasiment debout, on appuie sur un bouton et ensuite tu t’assois pour jouer» : on n’a pas le droit. On n’a pas le droit d’avoir de frein, d’avoir un pied au sol, ni de vitesses dans le fauteuil. A part cela, la fédération internationale de tennis (ITF) a choisi de nous laisser très libres sur les fauteuils, pour qu’on fasse du développement et de la recherche, afin d’améliorer le jeu. Pour comparaison, la fédération internationale de basket a énormément régi les fauteuils, ils ont presque les mêmes fauteuils depuis 30 ans, il n’y a pas d’évolution.

L’idée de développer et de faire de la recherche est très intéressante, mais est-ce que tous les joueurs ont les moyens de financer des recherches auprès d’entreprises pour trouver le fauteuil qui leur convient ?

 

C’est une excellente question. Lorsque que j’étais au Japon, certains se plaignaient en disant que ce n’était pas juste. En réalité, j’ai dû convaincre de nombreuses personnes, obtenir des engagements clés sur le projet, qui était un projet de recherche, il s’agissait d’un prototype qui était fait mais il n’y avait pas de transaction financière. Quand Shingo Kunieda a en permanence une équipe de 5 personnes autour de lui, cela coûte beaucoup plus d’argent que ce que j’ai fait avec mon fauteuil où j’ai réussi à convaincre des industriels de travailler à mes côtés. L’idée est de développer un produit qui pourra servir à tout le monde.

Savez-vous combien de joueurs professionnels vivent du tennis fauteuil aujourd’hui ?

 

On est peu nombreux, peut-être une dizaine de joueurs, sachant que les profils diffèrent. On peut avoir des joueurs, comme le numéro 1 du Chili, qui n’est plus dans le top 30, mais qui est supporté par la banque du Chili parce que c’est le seul Chilien sur le circuit. Il vit en fait du tennis sans que ce soit un joueur du top 10. Ce ne sont en fait pas forcément les dix premiers qui vivent du tennis. Certains joueurs sont soutenus par les fédérations, les fondations, etc. Les 7 premiers ont l’avantage considérable de jouer les Grands Chelem, ce qui leur permet d’accéder aux prize money plutôt conséquents à Roland Garros et Wimbledon. Les salaires dont on parle permettent essentiellement la possibilité de pratiquer cette activité bien plus que de remplir son compte en banque, on est loin des dotations du tennis qu’on connaît.

Pouvez-vous me raconter la vie sur le circuit ?

Nous voyageons 23 semaines par an. Nous commençons en Australie, à Brisbane, à Sydney puis à Melbourne pour l’Open d’Australie et on finit par le master, qui sera à Orlando cette année. De manière générale, on joue dans le monde entier, dans quelques Masters 1000 et ATP 500. On se retrouve aussi dans les vestiaires avec Federer, Nadal, Djokovic, qui sont les plus intéressants et les plus passionnants à suivre. On a également des tournois réservés aux tennis fauteuils. Sur ce point-là, je rêve qu’on puisse avoir un tableau dans chaque Master 1000 et dans chaque ATP 500 et qu’on ouvre notre discipline de telle sorte qu’elle puisse être pratiquée par tout le monde et que ça ne soit pas réservé à des joueurs qu’on dit « déficients » parce que je pense que ce n’est pas la bonne image à renvoyer sur le sujet.

 

Pouvez-vous me parlez de votre plus beau souvenir sur le circuit ?

 

J’espère qu’il est à venir. Sinon, je répondais souvent ma deuxième victoire à Roland Garros (en 2013), car la première année était un peu la surprise et la deuxième était la confirmation avec comme scénario un tie break incroyable et une victoire sur un ace, c’était magique. J’ajoute maintenant la victoire à l’US Open en 2017, puisque je fais une série, en gagnant le Superseries à Saint Louis, puis l’US Open contre le plus jeune joueur du circuit, Alfie Hewett, qui est le plus jeune numéro 1 et qui aurait pu être le plus jeune vainqueur de l’US Open.

 

Quels sont vos prochains objectifs, après avoir gagné autant ?

 

Je ne suis pas du genre à me reposer sur mes lauriers, j’aimerais gagner les deux Grands Chelem qu’il me manque en simple, Wimbledon et l’Open d’Australie où j’ai eu des balles de match, la médaille d’or des Jeux. J’aimerais également imiter Djokovic et gagner tous les masters 1000.

 

Vous avez commencé il y a déjà 10 ans, combien de temps dure une carrière en tennis fauteuil ?

 

La particularité du tennis fauteuil est que le poids de notre corps est supporté par notre machine, ce qui nous permet de jouer plus longtemps. Je prévois d’aller à Paris 2024 et pourquoi pas Los Angeles en 2028, en tout cas je ne me donne pas de limite parce que physiquement je me sens bien, je ne suis pas blessé, je peux marcher avec ma prothèse après les matchs plutôt que continuer en fauteuil, cela maintient mes épaules au repos et évite les blessures.

J’adore ce que je fais, tant que je prends du plaisir et que je suis compétitif, je continuerai.

 

Vous avez parlé de démocratiser le tennis fauteuil, notamment de l’ouvrir à tout le monde, pouvez-me dire comment ont évolué les mentalités vis-à-vis de la discipline depuis votre arrivée sur le circuit ?

 

On voit petit à petit qu’il y a un engouement autour du tennis fauteuil, parce qu’il y a un véritable spectacle et un vrai niveau de jeu, les doubles sont des matchs incroyables. Certaines vidéos sont énormément partagées sur les réseaux sociaux. Il y a un bon produit à présenter, donc on voit des gens qui suivent de plus en plus ce sport et qui s’intéressent à nos carrières. Le circuit est de plus en plus compétitif, on ne sait jamais à l’avance qui va gagner en Grand Chelem, le tableau est ouvert, chaque match est difficile, il y a beaucoup de rivalités, et je pense que les gens suivent un sport parce qu’ils suivent des rivalités, comme Nadal-Federer, Nadal-Djokovic, Federer-Djokovic, et nous en avons. Un gros travail a aussi été fait pour promouvoir notre discipline sur le plan sportif et non sur le plan du handicap, qui est un sujet qui peut faire peur, qui est plus médico-social que sportif et qui ne correspond peut-être pas à la population qui suit le sport.

Donc si vous pouviez améliorer quelque chose sur le tennis fauteuil, ce serait l’ouverture des gens par rapport à la discipline ?

 

Oui. Je pense qu’il faut qu’un sport paralympique franchisse le pas, qu’on fasse un test grandeur nature et qu’on propose à tout le monde de jouer en fauteuil. On pourrait faire une sorte de Ice Bucket Challenge où on défie tout le monde et chacun vient essayer. Il ne faut surtout pas limiter l’activité à la vérification d’une déficience.

 

Vous étiez également conseiller sport et handicap au ministère des Armées. C’est important pour vous de vous investir pour des causes en dehors du circuit ?

 

Oui. On se rend compte qu’on a des parcours qui sont assez communs, c’est-à-dire qu’on se reconstruit grâce à des témoignages de gens qui nous disent que la vie vaut le coup d’être vécue malgré l’accident. Témoigner de cela par la suite a une double action : c’est non seulement la valeur d’exemple qu’on a reçue mais nous sommes aussi galvanisés dans ce qu’on fait, car ça y donne du sens. En fait, ça fait autant de bien à l’autre qu’à soi-même et je pense que dans nos carrières nous sommes tous confrontés à cela.

Aussi, lorsque nous allons dans les écoles et qu’on voit des enfants qui ont des étoiles dans les yeux et qui rêvent d’avoir des médailles, de devenir des sportifs accomplis, il y a un véritable partage des valeurs du sport.

Est-ce qu’il vous arrive de prendre du recul sur votre carrière et votre parcours personnel ?

 

Soupirs. Là je suis encore dans l’action. J’ai plus tendances à regarder devant que derrière moi. Il y a des moments où je me remémore, lorsque Facebook me rappelle qu’il s’est passé ceci à une certaine date. Récemment, j’ai revu une photo de ma médaille d’or à Rio avec Nicolas Peifer, bien sûr, on prend le temps d’apprécier mais ce qui reste le plus important c’est ce qu’il se passera aujourd’hui et demain.

 

Vous ne pensez donc pas du tout à l’après carrière ?

 

Si je regarde mais je suis en permanence sollicité pour de nouveaux projets. Je me dis donc que l’univers des possibles est vraiment ouvert et que je ferai peut-être quelque chose à laquelle je n’ai pas du tout pensé. Le but de mon après carrière est de rester ouvert et de saisir des opportunités avec des groupes de travail. Par exemple, il y a deux jours, on m’a proposé d’intégrer un groupe de travail auprès du secrétariat de l’Etat chargé des personnes handicapées. J’avais rencontré les deux secrétaires d’état précédentes mais finalement je n’ai pas intégré les groupes. C’était une surprise, je ne l’avais pas anticipée. Quand quelque chose arrive, j’essaie d’en apprendre plus sur le sujet, de voir comment apporter ma pierre à l’édifice et pourquoi pas être protéiforme comme j’aime bien le faire.

 

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